Le marché du cloud en France est une manne financière pour les géants américains. Les acteurs européens du numérique ont su développer de nouvelles stratégies pour s’emparer de certaines parts de marché et demeurer dans la course en faisant parfois des choix surprenants.

L’hégémonie américaine sur le marché du cloud en France

Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud détenaient près de 70 % du marché européen du cloud, fin 2019. La France se situe dans cette tendance puisque les trois géants américains posséderaient 71 % des parts de marché, selon une étude conduite par le cabinet Markess by Exaegis. Cette même étude affirme qu’en 2021, ces trois acteurs ont capté 80 % de la croissance des dépenses du marché français du cloud, soit 400 millions d’euros. Il faut savoir que la croissance du secteur en France est estimée à 37 % par an et pourrait donc représenter 27 milliards d’euros d’ici à 2025.

Les trois GAFAM champions

Le leader en France du service cloud est sans conteste Amazon Web Services. Durant la pandémie de COVID-19, le géant américain a choisi de surfer sur la vague du télétravail afin de proposer aux entreprises des solutions innovantes pour gérer le travail à distance. L’entreprise créée par Jeff Bezos a su conquérir des centaines de TPE-PME en mettant à disposition une nouvelle dynamique numérique.

En parallèle, AWS peut compter parmi ses clients de grandes entreprises françaises comme Veolia, Engie, Mano Mano, Doctolib, etc.

Microsoft révise sa position agressive

En mars 2022, Microsoft a dû faire face à une plainte pour abus de position dominante. Elle a été déposée devant la Commission européenne par plusieurs acteurs européens du marché du cloud comme OVHcloud. La pratique dénoncée devant les instances de l’Union européenne laisse perplexe. Les logiciels sous licence de la suite Office, proposés par Microsoft, sont d’une qualité très élevée. Ils séduisent beaucoup d’entreprises qui recherchent une solution bureautique d’excellence. Toutefois, Microsoft imposait aux hébergeurs un prix plus élevé pour l’acquisition des licences Office lorsque ces derniers ne proposaient pas ses services de cloud.

Microsoft a réagi avant que la Commission européenne ne décide de diligenter une enquête. L’entreprise compte permettre à ses clients d’utiliser ses licences Office même si ceux-ci disposent d’un service de cloud européen. Les concurrents du Vieux Continent devraient également pouvoir héberger certains services de Microsoft sur leur infrastructure. Pour son PDG Brad Smith, la firme américaine n’a « pas fait assez attention aux plus petits acteurs du secteur », entendez les entreprises européennes.

La dynamique de Google en France

Google Cloud souhaite accélérer son déploiement en Europe avec l’implantation en France, dès juin 2022, de trois datacenters. Cette stratégie de déploiement colle à la perfection avec le développement de partenariats avec des acteurs majeurs du numérique français comme Orange, Thalès ou encore OVHCloud.

Les stratégies mises en place par la résistance européenne

Face au monopole des GAFAM, plusieurs acteurs européens du cloud ont écrit une lettre ouverte à destination de la Commissaire européenne en charge de la concurrence. Fin mars, cette dernière jugeait que les géants américains ne représentaient aucune menace concurrentielle dans le secteur du cloud. Parmi les entrepreneurs qui sont montés au créneau, citons Yann Lechelle (Scalway) et Quentin Adam (Clever Cloud).

En mars 2022, les deux leaders européens du secteur, OVHCloud et NextCloud, déposaient plainte devant la Commission européenne à l’encontre de Microsoft pour ses pratiques allant à l’encontre de la concurrence. Nous avons vu que cette initiative avait permis un allégement de la pression du géant américain sur « les petits acteurs du secteur ».

Les marchés de niche dans le viseur des clouds européens

Les différentes entreprises européennes du cloud doivent se répartir les 29% restants du marché français. Avec une croissance réduite, ces acteurs ont l’obligation de trouver des stratégies efficientes pour limiter la croissance des GAFAM. Les marchés visés par les Européens sont les suivants :

  • la cybersécurité ;
  • la gestion de cloud hybride et de multicloud ;
  • les plateformes applicatives ;
  • le cloud souverain rebaptisé « cloud confiance ».

Développer un « cloud confiance »

Le « cloud confiance » est une initiative du Gouvernement français afin de proposer aux entreprises, organisations et administrations de l’Hexagone des solutions cloud offrant une protection contre le Cloud Act. Ce dispositif législatif permet au Gouvernement américain de demander l’accès aux informations stockées sur les clouds des GAFAM.

Le label « cloud confiance » certifie les fournisseurs de service en fonction de deux éléments majeurs :

  • Lutte efficiente contre les risques de cybermalveillance et de cybercriminalité ;
  • Solutions conformes aux normes françaises et européennes.

D’autres restrictions visent à encadrer l’obtention de ce label de confiance. La solution cloud doit héberger les données en France. Les services du cloud opèrent obligatoirement depuis un pays européen et c’est une entreprise européenne qui doit apporter ces solutions. Cette entreprise est détenue nécessairement par des acteurs européens.

Pour créer ces solutions de confiance, des entreprises françaises n’hésitent pas à recourir aux services des GAFAM. Ces derniers fournissent certains outils majeurs tandis que ce sont des entreprises de l’Hexagone qui exploitent et gèrent le service de cloud, contournant ainsi le Cloud Act américain.

La tentation américaine

La synergie cloud franco-américaine

OVHcloud, qui dénonçait en 2022 les abus de Microsoft auprès de la Commission européenne, officialisait en 2020 un partenariat stratégique avec Google Cloud. La prétention de cette alliance est de proposer aux organisations européennes des technologies efficientes. L’enjeu pour ces organisations est de pouvoir assurer un contrôle strict sur les données hébergées, une sécurité optimale, un service transparent tout en garantissant une confidentialité optimale. À cette fin, Google propose la technologie tandis qu’OVHcloud gère la nouvelle infrastructure. L’entreprise française souhaite pouvoir proposer dans l’Hexagone un « cloud de confiance ».

Orange développe Bleu

En 2021, Orange et Capgemini choisissaient Microsoft Azure pour développer Bleu, une entreprise qui souhaite proposer aux administrations publiques et aux entreprises privées une plateforme cloud capable d’offrir un service de sécurisation et de confidentialité des données. Microsoft fournit à Bleu la puissance d’Azure et l’opérationnalité de la suite bureautique Office.

Thalès : un acteur de la défense des données

L’année 2021 a vu la conclusion d’un nouveau partenariat qui a un parfum de revers pour les clouds européens. Le groupe de défense et de sécurité français Thalès s’est allié à Google pour développer une offre de “cloud de confiance”.

Le marché français du cloud est dominé par trois acteurs américains. Pour tenter de braver cette hégémonie, les acteurs européens ont dû développer une stratégie de conquête des niches. Cela implique dans certains cas une alliance avec des géants comme Microsoft et Google afin de développer des synergies qui répondent aux normes françaises et européennes. Force est de constater que pour exister sur le marché français, les entreprises européennes ont besoin des technologies des firmes d’outre-Atlantique.

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